L’IED pour une transformation durable des économies des Caraïbes

Il existe un dicton populaire qui dit “ne jamais laisser une bonne crise se perdre”. Le monde est confronté à une panoplie de crises : le changement climatique, la pandémie de COVID-19 et une probable récession mondiale si les récentes prédictions du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale se vérifient. Face à ce trio de crises, les gouvernements des Caraïbes se sont montrés plus pressés de collaborer plus étroitement avec le secteur privé afin de diversifier et de transformer leurs économies en une croissance et un développement durables. Cet article soutient que, sans être une panacée, l’attraction des investissements directs étrangers (IDE) dans les secteurs à forte valeur ajoutée est l’un des moyens par lesquels les gouvernements des Caraïbes pourraient parvenir à une transformation durable de leurs économies après l’accord COVID-19. L’article affirme en outre que les avantages de l’IDE ne sont pas automatiques et que les efforts de promotion et de facilitation de l’investissement étranger des pays des Caraïbes doivent s’appuyer sur des données et sur leurs stratégies nationales de développement et viser également à séduire les investisseurs régionaux et de la diaspora.

L’impératif de transformation économique

Dans leur étude intitulée “Soutenir la transformation économique”, McMillan et al. (2017) définissent la transformation économique comme “un processus de déplacement de la main-d’œuvre et d’autres ressources d’activités à faible productivité vers des activités à plus forte productivité.” Selon eux, cela implique non seulement un transfert des ressources entre les secteurs vers des activités à plus forte valeur ajoutée, comme le passage de l’agriculture à l’industrie manufacturière, mais aussi des changements au sein des secteurs, comme le passage d’une agriculture de subsistance à faible productivité à des cultures à forte valeur ajoutée au sein de chaînes de valeur sophistiquées (McMillan et al 2017).


Pour que cette transformation économique soit durable, le processus doit s’inscrire dans un cadre de développement durable. En effet, le concept de “développement durable” est le paradigme dominant du développement depuis les années 1990. Dans son rapport novateur de 1987, la Commission Brundtland a défini le développement durable comme “un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs” (Commission Brundtland 1987). Après les objectifs du millénaire pour le développement (OMD), l’Agenda 2030 des Nations unies comprend 17 objectifs de développement durable (ODD) et leurs 169 cibles que tous les pays, y compris les États des Caraïbes, se sont engagés à atteindre d’ici 2030. Comme l’indique le programme d’action d’Addis-Abeba (2015), les IDE sont l’un des canaux de financement à partir desquels les pays pourraient réunir les fonds nécessaires pour atteindre leurs objectifs de développement.

La transformation économique durable a été un impératif politique post-indépendance pour les gouvernements des Caraïbes. Les économies des Caraïbes sont passées d’une économie de monoculture, axée sur l’exportation de produits agricoles, à une économie de services, soutenue principalement par le tourisme et les exportations de services financiers. Les économies basées sur les matières premières de Trinité-et-Tobago, de la Guyane et du Suriname ont également entrepris des efforts de diversification. La région a connu des niveaux de développement humain généralement élevés. Toutefois, la transformation économique des économies régionales a été entravée par plusieurs facteurs structurels, notamment la faible taille de la population, l’étroitesse des bases économiques et d’exportation, la forte dépendance à l’égard des importations et la vulnérabilité aux chocs.

Dans leur billet de blog du FMI daté d’octobre 2020, Pienknagura, Roldos et Werner (2020) notent que, bien que la région ait relativement bien réussi à gérer la propagation du virus, les pays des Caraïbes ont été les plus durement touchés économiquement en raison de leur forte dépendance au tourisme pour l’activité économique et l’emploi. Les auteurs ont comparé l’arrêt soudain des arrivées de touristes et les fermetures locales à “un arrêt cardiaque de leurs économies”. La pandémie de COVID-19 a mis en évidence et exacerbé des problèmes sociaux préexistants : hausse de la criminalité, importance des économies informelles, sous-emploi et chômage des jeunes, pauvreté et inégalité croissante des revenus.

La bonne nouvelle est que, comme l’indique la Banque mondiale (2022), nombre de nos pays devraient connaître une croissance positive, la Guyane et la Barbade devant être en tête de la région Amérique latine et Caraïbes en termes de croissance en 2022 (Banque mondiale 2022). Cependant, de nombreux vents contraires existent, tels que la crise entre la Russie et l’Ukraine, l’inflation mondiale, l’affaiblissement de l’économie britannique et les nouvelles selon lesquelles le FMI s’attend à ce que les deux tiers de l’économie mondiale se contractent en 2023. Il y a aussi la crise de la dette qui s’annonce, car de nombreux pays en développement, ne disposant pas d’une marge de manœuvre budgétaire suffisante, ont été contraints de contracter de nouvelles dettes pour survivre à la pandémie.

IDE et transformation économique

Les pays des Caraïbes ont généralement des régimes d’investissement très libéraux et ouverts. Dans une large mesure, nos pays ont suivi le modèle d'”industrialisation par invitation” proposé par le lauréat du prix Nobel d’économie né à Sainte-Lucie, le vénérable Sir W. Arthur Lewis. La littérature empirique montre que les IDE présentent de nombreux avantages pour les pays, notamment la création d’emplois, les devises étrangères et le transfert de compétences, de connaissances et de technologies. Toutefois, le secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) a fait remarquer que si l’IED était essentiel à la reprise économique, “rien ne permet de penser que l’IED a contribué à un changement de cap du modèle de développement dans la région”. [LAC] région car de nombreux flux entrants vont dans les secteurs où les entreprises transnationales jouent un rôle prépondérant depuis des décennies.” Si les données détaillées sur les flux d’IDE par secteur ne sont pas largement disponibles dans les Caraïbes, les rapports successifs de la CEPALC montrent que la plupart des IDE à destination de la région vont généralement au tourisme et aux secteurs extractifs.

Il est de plus en plus reconnu que les pays devraient s’efforcer d’attirer les IDE dans les secteurs qui les aideraient à atteindre leurs objectifs de développement. À cette fin, la CNUCED (2014) a identifié dans son Rapport sur l’investissement dans le monde de 2014 10 secteurs liés aux ODD, à savoir : l’électricité, l’atténuation du changement climatique, la sécurité alimentaire, les télécommunications, les transports, les écosystèmes/biodiversité, la santé, l’eau et l’assainissement, l’adaptation au changement climatique et l’éducation (CNUCED 2014). Les secteurs privilégiés lors du prochain Forum d’investissement des Caraïbes de l’Agence de développement des exportations des Caraïbes en novembre 2022, à savoir l’économie numérique, l’agroalimentaire, l’économie bleue, le tourisme durable, l’innovation en matière de logistique et de transport et les énergies renouvelables sont tous des secteurs à forte croissance et des secteurs qui, dans de nombreux cas, sont liés aux ODD.

Comment rendre les IDE transformateurs ?

Premièrement, les pays des Caraïbes devraient continuer à identifier et à privilégier les secteurs dans lesquels les IDE pourraient être les plus transformateurs, en particulier les secteurs liés aux ODD identifiés par la CNUCED (2014). Les API de la plupart des pays des Caraïbes indiquent en effet sur leurs sites web et leur matériel de marketing les secteurs qui présentent un intérêt particulier pour leur pays en vue d’attirer les investissements. Cependant, les données disponibles sur les niveaux d’IDE allant à ces secteurs sont limitées et il est donc nécessaire d’accroître les niveaux de désagrégation des données sur les IDE, y compris par secteur.

Deuxièmement, compte tenu de la diaspora importante de la région et des efforts déployés pour transformer le CSME en un espace d’investissement unique, l’accent ne doit pas seulement être mis sur l’attraction et la facilitation des investisseurs étrangers (ceux qui n’ont pas de liens avec la région), mais aussi sur les investisseurs de la diaspora et les investisseurs régionaux. Les API des Caraïbes ont déjà intégré le ciblage des IDE de la diaspora dans leurs efforts de promotion, qui devraient être intensifiés. En particulier, il est important de mener des recherches sur les intérêts potentiels de la diaspora en matière d’investissement et sur les obstacles à l’investissement qu’elle rencontre.

Troisièmement, les réformes de l’investissement doivent s’inscrire dans une stratégie d’investissement plus large, qui soit cohérente avec les politiques industrielles et commerciales du pays, toutes ancrées dans la stratégie de développement du pays. Dans cette mesure, il est important pour les pays qui en disposent d’évaluer l’utilité de leurs accords internationaux d’investissement, en particulier leurs traités bilatéraux d’investissement.

Quatrièmement, la concurrence entre les pays des Caraïbes pour attirer les investisseurs ne peut se faire uniquement sur la base des taux d’imposition ou des incitations fiscales, mais aussi sur la base de la valeur ajoutée qu’ils proposent aux investisseurs, par le biais d’éléments tels que le potentiel du marché, la facilité d’établissement, l’accès au financement et d’autres facteurs que les investisseurs prennent en compte dans leurs décisions. En outre, malgré les réformes et les améliorations en cours, la pratique des affaires dans les Caraïbes et entre les pays des Caraïbes présente encore de nombreuses frictions. Le commerce intra-CARICOM reste faible par rapport à de nombreuses autres régions en raison de nombreux facteurs, notamment logistiques et historiques, mais aussi en raison des frictions financières.

Cinquièmement, l’objectif est d’attirer des investissements qui sont favorables au développement, durables et inclusifs. Par conséquent, l’examen des investissements proposés afin de prévenir la dégradation de l’environnement, ainsi que le contrôle du respect du droit de l’environnement et du travail, garantiront la durabilité de ces investissements.

Sixièmement, une politique d’investissement fondée sur des preuves nécessite des données qui font défaut dans de nombreux pays des Caraïbes. Le peu de données désagrégées sur le type d’investissement, la source ou le secteur rend difficile l’évaluation empirique de l’efficacité des stratégies de promotion et de facilitation des investissements. En outre, les investisseurs s’appuient souvent sur ces données pour décider d’investir ou de réinvestir. À ce titre, une approche concertée visant à améliorer la qualité, l’actualité et la disponibilité des données devrait être un élément clé des efforts de la région.

En résumé, l’accélération de la promotion et de la facilitation des investissements directs étrangers est un élément important de la transformation durable des économies caribéennes après l’accord COVID-19, dans un monde de plus en plus polycrisé. Elle peut le faire en stimulant l’activité économique, les entrées de devises et la création d’emplois. Toutefois, ces avantages ne sont pas automatiques et doivent s’appuyer sur une stratégie de développement solide et faire l’objet d’un suivi si l’on veut obtenir les résultats escomptés.